Sami Tchak, Al Capone le Malien
L’auteur togolais nous avait habitués à plus de sobriété dans le choix de ses titres : La fête des masques, Place de fêtes, Hermina, Paradis des chiots, Filles de Mexico. On pourrait parler de rupture en pensant à ce titre clinquant qui ne manquera pas d’émoustiller la curiosité du lecteur… à juste raison.
En effet, Al Capone le Malien est le personnage de ce roman. Il est le noyau d’un atome d’Uranium autour duquel gravite une myriade de personnages-électrons, tous sous l’emprise de son champ de force qui empêche toute fuite possible. Il est des personnes dont il n’est pas souhaitable d’entendre la simple voix. Tout est dérèglement autour de ce feyman, entendez par là escroc international d’origine camerounaise. L’homme est un hédoniste accompli, il vit chaque seconde de sa vie comme c’était la dernière, il aspire l’air de ceux qui l’entoure, les abreuve selon son bon vouloir à coup de champagne Veuve Cliquot.
C’est au travers d’un de ces électrons insignifiants qu’on observe le charme qu’opère le malfaiteur africain. René Chérin est un journaliste français venu à Niagassola réalisé en compagnie d’un photographe un photo-documentaire sur l’art du Manding pour un très grand magazine, en particulier sur le fameux Sosso-Bala, balafon ancestral lié à l’épopée mandingue. Il rencontre tout d’abord Namane Kouyaté, un notable guinéen devant l’aider dans le cadre de sa mission. L’homme a été diplomate, mais il est surtout un très grand griot et un fin connaisseur des cultures mandingue et occidentale, un défenseur d’une Afrique se rassérénant de son passé glorieux dont il ne reste cependant que des traces orales dans l’histoire.
C’est au cours de la cérémonie traditionnelle que René Chérin, sorte de personnage éponge, figure récurrente de la prose tchakienne, se prend d’intérêt pour cet Al Capone, figure concrète et charismatique de l’Afrique contemporaine dans tout ce qu’elle a de retors et de moderne. Il le retrouve à Bamako.
Disons-le tout de suite, Sami Tchak réussit là un très beau portrait de cette Afrique des coulisses, des arcanes du pouvoir. Celles du Cameroun principalement, quand est exploré le passé d’Al Capone, ce qui le définit. Comme à son habitude, Sami Tchak explore les fossés jonchés de détritus, d’histoires scabreuses, les scandales dont certains sont liés à des faits réels qui ont secoué le Cameroun. Son terrain d’exploration n’est plus l’Amérique latine. Bamako que le livre de Valérie Marin La Meslée présentait sous un aspect positif est revisitée dans son aspect ténébreux, loin des valeurs ancestrales clamées par les djéli, plus proche de cette course matérialiste et égocentrique de l’individu et de la faillite des moeurs.
Plus que le personnage de Djibril Nawo, dans le roman précédent de Sami Tchak, René Chérin agace par sa passivité. Elle n’est pas seulement un artifice littéraire pour permettre une libération totale de la parole des personnages observés. Personnages qui malgré l’extravagance de leurs actions, avancent masqués. L’emprise d’Al Capone est réelle. Il donne une direction, à des personnages en quête de spiritualité, en quête d’eux-mêmes. Que ce soit une bell française d’origine malienne, spécialiste de littérature. Que ce soit une fille à papa initiée à la luxure. Que ce soit une certaine malienne malicieuse. Que ce soit un français en perte de repère, préfiguration d’un pays sur le déclin ?
Quand on remonte, le temps d’une confession, sur le parcours de Joseph Tawa dit Al Capone, sur sa fascination pour Donatien Koagne, prince disparu des feyman, on saisit une part de la personnalité de ce comédien né. Enfin, on croit le saisir… Le reste est à découvrir.
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Source : http://gangoueus.blogspot.fr