AMERICA LATINA
(Re)vivre le demi siècle dernier de l’histoire sud-américaine à travers plus de 500 photographies. C’est ce que propose le Fondation Cartier qui, du 19 novembre 2013 au 6 avril 2014, ouvre ses portes et accueille « America Latina : 1960-2013 », une exposition qui plonge au cœur de l’histoire du sous-continent latino-américain.
De par le prisme de la corrélation entre textes et photographies, le spectateur a l’occasion d’évoluer à travers le regard de 72 artistes issus de 11 pays sud-américains dans plus de 500 œuvres en couleurs et noir&blanc.
La Fondation Cartier a opté pour un décor minimaliste où, sur de grands murs blancs immaculés et éclairés par la lumière du jour, sont disposées, ça et là, un grand nombre de clichés et illustrations, traduisant un sentiment d’abondance. Après quelques pas, on fait face à une grande photographie représentant un homme pendu par les pieds disposé à côté d’une carte du Chili. Cela donne le ton. Si les illustrations sont poignantes, criantes de vérité et imprègnent rapidement le spectateur, les textes, eux, permettent de contextualiser.
La raison pour laquelle « America Latina » s’étend de 1960 à 2013 s’explique par le fait que l’année 1960 marque le lendemain de la révolution cubaine qui fera l’émule dans d’autres pays sud-américains durant les décennies suivantes. La période est également frappée de nombreuses crises politico-socialo-économiques, niches des mouvements révolutionnaires et de l’émergence des guérillas. Ce contexte propice à l’instabilité fait la part belle aux inégalités et à la violence. C’est ce qui a été mis en avant par les différentes œuvres présentées.
L’exposition pose 4 thématiques – Territoires, Villes, Informer-Dénoncer et Mémoires&Identités – afin d’extraire au mieux la substantifique moelle de cette extrême diversité de travaux.
TERRITOIRES. Ce n’est un secret pour personne que de dire que la délimitation des pays d’Amérique Latine est issue d’un héritage arbitraire sous couvert d’une influence colonialiste. C’est ce qu’ont tenté de dénoncer certains artistes tel que Flavia Gandolfo, une photographe péruvienne qui, grâce à des clichés de dessins d’écoliers, a mis en exergue la façon dont ces derniers se représentaient l’identité péruvienne à travers leurs cours d’histoire. Claudia Andujar, une Brésilienne s’est intéressée aux « frontières dans les frontières » à travers une série de photographies représentant la survie des Indiens Yanomami, une tribu menacée d’Amazonie en proie aux lobbies agricoles qui pillent les richesses de leur sol.
VILLES. Les villes sud-américaines comptent 80% de la population. Ces dernières ont connu, en un laps de temps relativement réduit, une croissance fulgurante. Entre architecture surannée et contemporaine, les villes portent les stigmates d’une évolution trop rapide. Les murs sont les supports officieux de la liberté d’expression. Liberté bien trop souvent bafouée dans les médias. Sans chercher l’esthétique, l’écrit y est prédominant. On retrouve, notamment, les photographies de Marcelo Montecino, une Chilienne qui a basé son travail sur les messages politiques que portent les « murs qui parlent ».
INFORMER-DENONCER. Suite à la révolution cubaine de 1960 qui a intronisé Fidel Castro, certains pays ont vu se mettre en place des dictatures répressives. C’est le cas du Chili, en 1973 avec l’arrivée de Pinochet ou de l’Argentine, en 1976. Les droits de l’homme y sont mis de côté, la torture et les condamnations arbitraires deviennent monnaie courante. A cette époque, bon nombre d’artistes puisent leur inspiration dans la presse où la dualité entre le texte et la photographie est à son comble.
Sur tout un pan d’un mur, au sous-sol, l’artiste Argentin Juan Carlos Romero mêle le motviolenzia avec des pages de journaux représentant différents faits divers relatifs à cette férocité.
MEMOIRE & IDENTITE. Les années 90 marquent le début du développement de la démocratie dans les pays d’Amérique Latine. Toutefois, le tournant néolibéral prit par les gouvernements ne cesse d’accentuer les inégalités. La parole étant donnée au peuple, ce dernier fait entendre sa voix. Les minorités s’indignent et osent protester contre le manque de reconnaissance sociale ou culturelle.
L’Amérique Latine s’appuie sur une pluralité d’influences culturelles. Les cultures indigènes, préhispaniques, occidentales, africaines sont autant de facettes à concilier. Certains artistes ont bâti leurs œuvres sur cette mémoire latine si difficile à définir. L’Argentin Marcelo Brodsky, par exemple, a basé son projet, Buena Memoria, sur les conséquences des disparitions de personnes durant les dictatures. D’autres, comme la Brésilienne Rosângela Renno tente de faire (re)découvrir des communautés oubliées, victimes de l’expansion que certains appellent aussi le progrès.
Une exposition tant artistique qu’historique ou pédagogique. Une plongée dans le souvenir d’un sous-continent marqué par la violence, les inégalités mais aussi la beauté d’un espace géographique vaste et contrasté et la richesse des identités plurielles qui le composent. Un bel effort de mémoire.
Antonin Chamot