ELIDA ALMEIDA & LURA
Elida Almeida et Lura sont deux artistes cap-verdiennes. Elles se produisaient le jeudi 4 février à l’Alhambra, en ouverture de la neuvième édition du festival Au Fil des Voix.
Pour elles, ce double concert était un enjeu majeur. Monter sur scène en ouverture du festival indiquait qu’elles se devaient de faire bonne impression dès le début. Beaucoup de pression pesaient sur leurs épaules.
Deux styles bien définis
Ce sont deux artistes similaires et différentes à la fois. Similaires car elles souhaitent toutes deux parler de leur pays, de ses traditions et de ses mœurs dans leur musique. Différentes car leurs parcours n’ont de commun que leur singularité : les deux femmes n’ont pas du tout vécu la même vie, une génération les sépare.
Pour sa part, Lura est née au Portugal, en pleine indépendance du Cap-Vert. Elle a grandi en se créant une image de son pays d’origine façonnée par les histoires que ses parents lui racontaient et ce que son imagination lui insufflait. Sa vision est cosmopolite, mondiale. Elle ne vit au Cap-Vert que depuis peu.
Elida est née au Cap-Vert et ne connait que ça. Elle a vécu dans sa courte vie des épisodes marquants qui ont influencé sa vie et sa musique à tout jamais. Elle représente la vision du peuple cap-verdien. Elle parle de la vie de tous les jours ainsi que de sa propre expérience.
Selon Lura, les deux artistes ont quelque chose en commun. « On aime bien valoriser la tradition cap-verdienne et parler des histoires du Cap-Vert et du quotidien ». La différence entre elles vient du fait qu’elles n’ont pas le même parcours. Elles parlent de la même chose en l’évoquant différemment.
Leur passé respectif se ressent dans leur musique. Elida Almeida a une voix incroyablement touchante, à la fois joyeuse et pleine de mélancolie. Elle donne espoir de meilleur. La maturité de sa prestation et sa jeunesse candide fusionnent, offrant un résultat troublant bien que séduisant. Lura est complètement folle, un personnage atypique et très attachant. Excentrique et classe à la fois, c’est une beauté intérieure comme extérieure. On ressent beaucoup de joie et d’amour en sa présence. Elle est tellement énergique et vigoureuse qu’on peine à croire qu’elle a la quarantaine.
Le but du festival Au Fil Des Voix est de réunir par la culture, de faire ressentir des émotions même sans comprendre la langue. Tout le monde se sent bien, le public est conquis. Ces deux artistes étaient parfaites pour l’ouverture de ce festival.
Une conquête évidente du public
Elida est très à l’aise sur scène. Elle est pleine de générosité, elle raconte son histoire dans un français lacunaire, chargé de teintes créoles, mais très assuré. On sent qu’elle est dans son élément, qu’elle prend confiance sur scène. Ses rires innocents et remplis de vie font chaud au cœur. Elle prend sa guitare et raconte l’histoire derrière sa chanson. Le public est touché. Des soupirs, mêmes quelques fois des reniflements se font entendre. Les spectateurs sont transportés par la magie du moment. Ils semblent bien connaître Elida puisqu’ils entonnent la chanson Ntakonsigui à l’unisson avec elle. Il est impossible de ne pas tomber sous le charme de tant de douceur et de talent. La chanteuse est entourée de musiciens talentueux aussi. Ils se livrent à une improvisation pendant une courte pause. Certaines personnes dans le public se lèvent et dansent pour célébrer ce beau moment. Elida témoigne d’une réelle intention de faire plaisir au public, elle le fait participer au show en lui posant des questions, et en le faisant chanter. « Et ça, c’est ma famille » dit-elle passionnément en montrant son auditoire du doigt. Elida est une artiste à découvrir et écouter sans modération.
Lura est classe et agile. Elle joue avec le public, le foudroie de son regard meurtrier et de son sourire éclatant. Elle rend un hommage évident à la grande cantatrice cap-verdienne Cesaria Evora avec Moda Bô, leur chanson commune. Même les musiciens semblent émus en jouant ce morceau, comme s’ils sanctifiaient le nom de cette grande artiste. Elle est drôle, elle imite les gestes des guitaristes. Ses années d’expérience sur scène jouent en sa faveur, le public la connait bien, elle est dans son élément. Rien ne semble pouvoir l’arrêter en cet instant. Elle fait chanter le public sur sa chanson Na ri na. Elle affiche une aisance innée, prend toute la place et dégage une jovialité incroyable. Elle est très taquine avec son public. « On va danser le funana ? Tu es prêt ? » lance-t-elle au beau milieu de sa performance. Et le public se lève pour danser. Mêmes les techniciens dansent.
Elida et Lura se sont toutes les deux prêtées au jeu de la scène en se trémoussant sur les danses traditionnelles cap-verdiennes. Elles se déhanchent au rythme convulsif des percussions, un foulard autour de la taille pour mieux marquer leurs mouvements.
Nombreux sont les spectateurs d’origine cap-verdienne qui scandent les titres des deux artistes, voire qui sèchent une petite larme à l’occasion. En effet, rares sont les moments où ils ont senti leur diaspora aussi réunie.
Shelina Scaravelli