Catherine Dénécy
Une interprète, quatre tableaux. Unpeubeaucoupalafoliepasdutout retrace avant tout le parcours de la chorégraphe, en quête de ses origines.
Sur les planches du Tarmac à Paris en ce début du mois de juillet, Catherine Dénécy alias Ca.Dé, passe par différents états. Dès la première scène, les jeux de lumière et la musique plantent le décor : New York. La danseuse porte un jogging noir et des baskets. Un sac sur le dos, elle danse. Au fur et à mesure que le temps passe, on la sent oppressée et un peu perdue dans l’ambiance anonyme de cette Big Apple. La lumière devient rouge. Catherine sort alors un drap de son sac, le déplie peu à peu. Les lumières s’éteignent. La deuxième scène s’ouvre ensuite sur le drap complètement déplié, l’artiste est désormais vêtue de blanc. On comprend rapidement qu’elle nous emmène avec elle en Guadeloupe, sa terre natale. Mais à nouveau, le mal-être de la danseuse se fait ressentir : l’île serait-elle trop petite à son goût ? S’engage un corps à corps qui mène à sa mort. La jeune femme renaît alors de ses cendres et le troisième tableau la transporte jusqu’en Afrique, elle commence à s’assumer, enchaînant les pas de danse, formant un véritable duo avec le drap. Une fois la terre-mère retrouvée, dans le quatrième tableau, l’artiste s’habille de cette nouvelle peau, décomplexée dans le Tout-monde, elle retrouve sa liberté. La scénographie est imaginée et réalisée par Maud Banou-Hostache avec qui Catherine Dénécy travaille depuis des années.
C’est à New York, justement que les deux jeunes femmes se rencontrent pour la première fois. Maud fait alors des recherches sur un patchwork construit de tissus variés et de la matière terre dans tous ses états pour une adaptation du roman « Les gouverneurs de la Rosée » de Jacques Roumain. Catherine, loin de sa Guadeloupe natale, n’en a qu’une image conceptuelle. Le travail de Maud l’interpelle « A travers ce tissu, j’ai pu me regarder, comme si j’avais un miroir, j’y ai déversé toutes mes émotions ». De cette genèse, naît une collaboration entre les deux artistes avec comme thème central la quête identitaire et la question de savoir ce que représente la créolité en 2013.
Un appel à projet pousse les deux jeunes artistes à étoffer leur idée. Leur concept devient alors la ligne directrice de ce qui formera bientôt la pièce « Unpeubeaucoupalafoliepasdutout ». Pour la musique, Ca.Dé fait appel au compositeur Exxòs Mètkakola, à l’origine du kako, un style de musique électronique créole, mêlant les genres. « Quand j’ai entendu sa musique, il faisait ce que je voulais faire dans ma dans», confesse Ca.Dé.
C’est en écrivant et en interprétant le spectacle que Ca.Dé et Soylé (nom d’&artiste de Maud Banou-Hostache) trouvent peu à peu les réponses aux questions qu’elles se posent : « La créolité est une mosaïque, il n’y a pas vraiment de règle. La question de savoir si je suis créole ou si je ne le suis pas est perpétuelle, c’est une dynamique », affirme Catherine Dénécy.
Ce métissage, la chorégraphe en a fait une force. Elle s’inspire à la fois de sa formation classique à la Alvin Ailey (NYC) et de ses six années dans la compagnie de danse Urban Bush Women où elle découvre les danses de la diaspora africaine. Ca.Dé a trouvé son style : « Aujourd’hui, j’ai mis assez d’honnêteté dans toutes les parties de moi-même, je me sens plus entière sur scène», reconnaît-elle.
Après avoir remporté le Grand Prix de la création artistique 2010 du Conseil Général de la Guadeloupe, les deux filles entament une tournée mondiale : d’abord en Martinique, Guadeloupe et Guyane, puis en République Dominicaine, en Jamaïque et à Cuba, enfin en Angleterre et en France. « En allant en Angleterre, on s’est demandé si la pièce allait résonner dans le monde» avoue aujourd’hui Catherine.
Si les deux artistes se posent encore la question après leur passage à Paris, on peut leur confirmer que le pari est remporté. La mise en scène laisse paraître chacune des émotions de l’artiste à travers la danse, l’harmonie des mouvements du corps et les jeux de lumière : « Tous mes sens sont en éveil et j’espère que ceux des spectateurs aussi ». Tout au long de la pièce, Catherine Dénécy emmène le spectateur avec elle dans sa quête, tout comme elle transporte cette « peau » – nom que les deux femmes donnent au bout de tissu -, symbole de sa créolité qui au début lui pèse et qui au final, la libère.
Maeva Lefebvre